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Le retour en grâce des sorcières cinématographiques
Résumé
Les sorcières n’ont jamais été aussi présentes autour de nous, et le cinéma leur offre une fenêtre à leur démesure. Ces sorcières, ce sont depuis toujours les femmes fortes, indépendantes, rendues suspectes par leur liberté assumée. Vamp est le nom donné aux femmes fatales dès les premières heures du cinéma. Objet du désir et vampires à la fois. Puissance de l’aura cinématographique mêlée à la magie noire, les vamps sont les premières sorcières du cinéma.
On a envie de faire danser ensemble, dans une farandole endiablée, Alice Guy, Louise Brooks, Germaine Dulac, Clara Bow, Mary Pickford, Ida Lupino, Maya Deren, Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig, Chantal Akerman, Kim O’Bomsawin, Anne Claire Poirier, Micheline Lanctôt, Barbara Loden, Claire Denis, Béatrice Dalle... Devant ou derrière la caméra, elles marquent de leurs films sortilèges un fil conducteur invisible dans l’histoire du cinéma. Celui des femmes qui ont voulu et su créer en toute indépendance. Des femmes puissantes, dont la reconnaissance se révèle toujours plus nécessaire.
Pour entamer ce long chemin, nous avons choisi de nous pencher sur des œuvres récentes, qui offrent quelques portraits de sorcières contemporaines rares et inoubliables. Sorcière, comme une identité à sens large, image puissante qui évoque à la fois le rapport à la terre, au monde dans lequel elles – réalisatrices, personnages - évoluent, mais aussi masque de peur qu’elles inventent où qu’elles incarnent malgré elles. Se pencher sur les sorcières aujourd’hui, c’est s’émanciper du personnage mythique de Walt Disney dans Blanche Neige, pour aller explorer les contours d’un monde féminin moderne, politique, esthétique, en pleine réinvention.
Vever (For Barbara) est ainsi une parfaire introduction à une telle exploration. Trois réalisatrices se rencontrent à travers ce film : l’immense Maya Deren, réalisatrice du chef d’oeuvre séminal Meshes of the Afternoon (que nous programmons aussi tant il est incontournable), dont les notes prises lors d’un séjour à Haïti dans les années 50 croisent les images d’un film abandonné de Barbara Hammer tourné au Guatemala en 1975, le tout monté par Deborah Stratman aujourd’hui. Leurs voix habillement mêlées questionnent leurs rapports au mythe, à la création, aux rituels.
C’est à un rituel d’un autre genre que nous invitent Isabel Penoni et Leonardo Sette avec Porcos Raivosos. Dans une tribu d’Amazonie, après avoir découvert que leurs maris avaient été mystérieusement transformés en porcs enragés, les femmes du village décident de passer à l’action. Dans un jeu « endiablé » entre les cinéastes et la tribu se dessine un film qui convoque la danse, le documentaire et la fiction autour de ces femmes qui, avant tout, semblent follement s’amuser. Une manière de radicalement renouveler le regard anthropologique classique.
D’une manière plus littérale, l’américaine fascinée par l’Islande Nietzchka Keene convoque une image médiévale des sorcières dans son film de 1990 Quand nous étions sorcières. On y suit l’errance de deux soeurs, dont la mère vient d’être brûlée pour sorcellerie, et qui tente de trouver refuge auprès d’un jeune homme veuf et de son fils. Une adaptation des frères Grimm qui n’édulcore en rien la violence faite aux femmes et ce qu’elle engendre. Elle offre au passage un premier rôle à la jeune Björk, qui traverse avec grâce les paysages islandais, somptueux et angoissants dans un superbe Noir et Blanc.
Toujours en Noir et Blanc, le premier long métrage d’Ana Lily Amirpour, A girl walks home alone at night, nous propulse dans une ville iranienne fantômatique, hantée par des personnages sortis des meilleures séries B. Avec une grande fantaisie, le film joue avec les codes cinématographiques et invente un formidable personnage de femme vampire voilée en quête d’une romance libérée. Il nous semblait enfin indispensable de convoquer ici Claire Denis, cinéaste frondeuse et passionnante, dont nous présentons le sublime Trouble Every Day, peut-être son film le plus perturbant. Elle y réinvente l’horreur d’une manière totalement sensuelle et hypnotique, avec la présence hallucinée de Béatrice Dalle, qui incarne un personnage carnassier et insatiable. Denis et Dalle forment une association de sorcières parfaitement incontournable.
Mais il y a aussi des hommes qui portent un regard moderne et questionnent les rôles féminins stéréotypés. A commencer par Virgil Vernier, dont toute l’oeuvre semble vouée à observer la trajectoire de jeunes femmes dans un monde qui ne les attend pas. Orléans se balance ainsi entre des scènes tournées dans un club de striptease, quasi-documentaires, et celles volées à la cérémonie de Jeanne d’Arc « la pucelle d’Orléans », rituel médiéval rejoué chaque année. Vernier transcende sa fascination pour « le mystère » féminin. Quel que soit le rôle qu’ils décident de se donner, ses personnages incarnent et permettent ainsi la transmission d’une Histoire qui les dépasse.
Avec The World is full of secret, Graham Swon réinvente le plaisir paradoxal né de l’écoute d’histoires horrifiques. Cinq adolescentes passent ainsi la nuit à se raconter des anecdotes morbides sur des femmes à différentes périodes de l’Histoire, en se délectant des détails les plus sinistres. En un geste quasi-warholien, Graham Swon fait du visage de ces jeunes filles le réceptacle d'une violence ancestrale faite aux femmes, et comme intrinsèque à la culture américaine, et nous plonge dans leurs yeux à elles, seuls maîtres du secret.
C’est un autre visage qui nous hypnotise dans Cilaos de Camilo Restrepo. Celui de Christine Salem, que nous écoutons, entre peur et sidération, rappeler à elle la présence fantômatique de son père défunt. Porté par le rythme envoûtant du maloya, chant rituel réunionnais, Cilaos explore les liens profonds et troubles qui unissent morts et vivants, cinéma et transe.
Kindil el bahr de Damien Ounouri est un véritable OVNI, tant les film de genre algériens sont rares. Lors d’une sortie à la plage, Nfissa, jeune mère de famille, est lynchée à mort par un groupe d’hommes, alors qu’elle se baignait seule au large. Peu après, sur cette même plage, tous les baigneurs meurent subitement. Revenge movie dans l’Algérie contemporaine, Kindil el Bahr nous offre un personnage féminin d’abord victime de sa trop grande liberté, mais qui se réincarne dans une créature puissante et vengeresse totalement inoubliable. Dans ce rôle, Adila Bendimerad, actrice et co-scénariste du film, fait des étincelles.
Enfin, si un cinéaste homme a dédié une grande partie de son oeuvre aux sorcières, avec passion, persistance et cruauté, c’est bien Dario Argento. Premier film de sa trilogie consacrée aux Trois Mères, Suspiria est peut-être le plus baroque. Avec sa palette de couleurs tranchantes comme des lames, il fait de chaque élément de l’image un potentiel danger pour Suzy, qui va découvrir que l’école de danse qui l’accueille n’est autre que l’antre d’une sorcière. Si l’on revient ici aux fondamentaux de l’imagerie de la sorcière, inspiré par Grimm et même d’une certaine manière par Walt Disney, Argento en offre une version déchirée par la violence et le gore. Avec lui, la matière même du film est transformée par le pouvoir, invaincue, des femmes.
Laurence Reymond
Trouble every day: 13 septembre à 19h00, Conservatoire d'art dramatique - Théâtre
Kindil El Bahr: 13 septembre à 21h30, Enap
Orléans: 13 septembre à 21h30, Enap
Porcos Raivosos : 14 septembre à 13h00, Conservatoire d'art dramatique - Théâtre
Quand nous étions sorcières : 14 septembre à 13h00, Conservatoire d'art dramatique - Théâtre
Vever (For Barbara) : 14 septembre à 15h30, Conservatoire d'art dramatique - Théâtre
The World is full of secrets : 14 septembre à 15h30, Conservatoire d'art dramatique - Théâtre
A Girl Walks Home at Night : 14 septembre à 19h00, Enap
Cilaos : 14 septembre à 19h00, Enap
Meshes of the Afternoon : 15 septembre à 13h00, Enap
Suspiria : 15 septembre à 13h00, Enap